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Encre
et Gouache
Mireille Petit-Choubrac
Copyright Lestamp Edition-
Pour l'Edith
Piaf de
J. Deniot. 2012 |
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L'Eté du Lestamp
2012
s'est
déroulé les 28 29 et 30 juin 2012
sur le
thème
Des Hommes
Des Femmes
Inerties et
métamorphoses
anthropologiques |

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T 06 88 54 77 34,
0977093713
email:
jacky.reault@wanadoo.fr
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SOCIOLOGIE DU TRAVAIL SOCIOLOGIE DU
SYNDICALISME SOCIOLOGIE DES FEMMES
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Par Anne-Sandrine
CASTELOT
Université de Nantes, Département de sociologie,
Recherche sur des pratiques militantes et syndicales de
femmes
Il s’agit de montrer les pratiques militantes et
syndicales de femmes au sein d’une section syndicale
CFDT. Minoritaires, elles ne représentent que le quart
des effectifs. Cette proportion tend à décroître
d’années en années, alors qu’elles constituaient la
majorité des effectifs lors de la création de
l’entreprise. Ces femmes ont pris une position
importante dans la vie syndicale de l’entreprise. Elles
vivent leur militantisme et leur engagement syndical
d’une façon singulière par rapport aux hommes de la
section.
Nous allons nous employer à comprendre leurs motivations
d’adhésion au syndicat, les rôles et statuts qu’elles
investissent au sein de la section. Notre démarche est
de montrer de quelles façons les femmes parviennent à
devenir des éléments centraux de la vie de la section.
Après avoir brièvement présenté l’entreprise, nous nous
intéresserons aux modes de fonctionnement de la section.
Nous illustrerons notre propos par le portrait de trois
femmes, ce qui nous permettra d’examiner différentes
formes de militances féminines, ainsi que l’apport de
l’activité syndicale dans l’entreprise, pour les femmes.
Une
entreprise en mutation
Installée dans la région nantaise au début des années
soixante-dix l’entreprise avait pour vocation d’être un
centre de production d’appareils téléphoniques. Elle
recrute principalement de la main d’œuvre non qualifiée,
essentiellement féminine, travaillant en équipe, à la
chaîne. L’activité principale était constituée par des
chaînes d’assemblage d’appareils téléphoniques.
Appartenant à un groupe international, son avenir est
dirigé par l’évolution de l’ensemble des entreprises du
groupe. Dés la fin des années soixante-dix, l’entreprise
amorce un virage technologique. Elle oriente ses
activités vers des technologies plus pointues comme la
réparation de cartes électroniques pour les centraux
téléphoniques, le développement de centraux
téléphoniques (conception et développement).
Ainsi l’entreprise, en 1973 usine de production devient
un centre de recherche et de développement de logiciels
dans le domaine des télécommunications dés la fin des
années quatre-vingts. Cette mutation s’est faite en
trois temps.0 Inévitablement la main d’œuvre recherchée
ne correspond plus à celle des débuts, ouvriers non
qualifiés. L’orientation technologique choisie par la
direction impose à l’entreprise de recruter des
techniciens spécialisés dans le domaines des
télécommunications ainsi que des concepteurs en
téléphonie et technologies d’avant garde. Depuis 1996,
l’entreprise a élevé son niveau de recrutement au niveau
ingénieur. Cette évolution ne sait pas faite sans
douleur. L’entreprise connut deux grands conflits. A
chaque tournant technologique l’entreprise ne s’inscrit
pas simplement dans une redéfinition de ses activités
mais aussi dans une restructuration du personnel et des
actionnaires. Une partie du personnel, à chaque fois,
est laissée pour compte. Certains sont soit repris dans
les entreprises de la région, soit licenciés soit
reclassés dans des sites appartenant au groupe. La
dernière révolution technologique pour l’entreprise
nantaise a eu lieu en 1998 avec la fermeture du centre
de réparation, ce qui signifie la fin de l’ère ouvrière.
L’entreprise désormais est constituée de soixante-dix
pour cent d’ingénieurs. Les trente pour cent restant
correspondent principalement aux collaborateurs
(techniciens, techniciens supérieurs) et aux
personnels administratifs.
Dans ce contexte, rapidement, en raison de l’importance
de l’entreprise, de ses effectifs mais également en
raison du contexte économique et social, des sections
syndicales se sont montées, favorables à la mise en
place d’un dialogue social et d’un discours
revendicatif. Nous ne nous intéresserons qu’à la section
CFDT. L’entreprise compte quatre syndicats.
Historiquement, ils étaient deux : la CGT et la CFDT.
L’évolution du personnel a favorisé la création d’une
section CGC. Une section FO s’est montée en 1999,
constituée de membres dissidents de la CFDT et de la
CGC.
Vision de la
section
La section est composée d’une vingtaine d’hommes,
occupant les fonctions d’ingénieur, de cadre[1] ou de
technicien supérieur et de huit femmes exerçant en tant
que technicienne. Ce groupe de femmes n’a pas une
formation homogène contrairement aux hommes. Les hommes
ont touts reçu, avant d’entrer dans la vie active, une
formation sanctionnée soit par un brevet ou un diplôme
de technicien, soit par une école d’ingénieur. Certains
ont poursuivi leur formation au sein de l’entreprise
pour accéder au niveau et à la fonction cadre ou
ingénieur « maison ». Les femmes ont commencé leur
activité professionnelle à partir de 14-16 ans en tant
qu’ouvrières non qualifiées. Elles ont débuté dans
l’entreprise alors que celle-ci était une usine
d’appareils téléphoniques.
L’ensemble des militants, constituant le noyau dur de la
section, se connaît depuis de nombreuses années. Nous
appelons noyau dur, les hommes et les femmes de la même
classe d’âge, qui travaillent dans l’entreprise depuis
les années soixante-dix. Ils sont passées à travers les
différentes tempêtes vécues par l’entreprise. Tous se
côtoient depuis une dizaine d’années, voire plus de
vingt-cinq ans, pour certains.
La section a été créée à la fin des années soixante-dix.
Elle a pris son essor lors des premiers mouvements
revendicatifs concernant les salaires et les conditions
de travail (travail d’équipe). Il est intéressant de
remarquer que le nombre de militants actifs n’a pas
évolué depuis la fin des années quatre-vingts. Au début
de la vie de la section, la proportion de femmes était
non négligeable[2]. Elles représentaient une part
important de la main d’œuvre exécutante[3]. Les hommes
assuraient la maîtrise et l’encadrement. Ils occupaient
les tâches nobles. Au fur et à mesure que les activités
de l’entreprise ont évolué vers une technicité de plus
en plus pointue, la place des femmes s’est réduite. Ce
sont elles qui ont été touchées de plein fouet par les
restructurations, du fait de leur manque de
qualification. Somme toute, la proportion de femmes dans
la section est plus importante qua dans l’entreprise, ou
il y a une femme pour quatre hommes. Au niveau de la
section, c’est une femme pour deux hommes. Cependant,
l’apport de jeunes recrues est majoritairement masculin.
L’entreprise ne recrute que des ingénieurs. Les femmes
sont sous représentées dans les écoles d’ingénieurs.
Modes
de fonctionnement de la section
Depuis quelques années, la section est dirigée
conjointement par un homme et une femme délégués
syndicaux. Cependant nous observons que « le chef »
c’est l’homme. Aucune réunion ne commence s’il n’est pas
arrivé. « Est-ce que Benoît est là ? … » On
attend qu’il arrive, « il ne va pas tarder …où est le
chef ? » Quand il est absent, les militants présents
se plient au rituel qu’il a institué. Chaque réunion
obéit à un ordre du jour consigné au tableau. L’ensemble
des participants le voit et peut s’y référer. Cet ordre
n’est pas exhaustif, si l’un des participants a une
information à communiquer, il l’inscrit à la suite.
Tout ceci s’effectue dans la bonne humeur et avec la
bonne volonté de touts. Il est chahuté de temps à autre
sur l’aspect formaliste qu’il donne à son rôle.
Notamment quand il se positionne en tant que chef de la
section. Il rappelle les principes de fonctionnement des
réunions : arriver à l’heure, s’écouter les uns les
autres, ne pas faire d’aparté. Cependant, il n’échappe
pas aux railleries des uns et des autres. « bien
chef, j’aurai un mot d’excuse la prochaine fois ».
L’ensemble des militants lui reconnaît ses compétences
syndicales, sa connaissance de l’entreprise et sa vision
à long terme des problèmes rencontrés. Benoît est rentré
dans l’entreprise fin des années soixante-dix en tant
que technicien « du temps de la fab ». De
technicien, il a évolué pour devenir ingénieur maison à
la fin des années quatre-vingts.
Il s’est syndiqué dans ses premières années d’activité.
Benoît cumule les fonctions de délégué syndical de la
section et de délégué syndical central au niveau du
groupe. Il est aussi secrétaire de l’inter CFDT de
l’entreprise au niveau national. Il a été désigné
délégué syndical lors du départ en retraite de l’ancien
délégué syndical son mentor « il m’a tout appris,
c’est avec lui que j’ai fait mes premières armes … il
m’a séduit par son discours ses actions, c’est lui qui
m’a fait prendre mon adhésion à la CFDT » (Benoît,
ingénieur POS II, rentré en 1975 comme technicien). Les
membres de la section lui reconnaissent des talents de
négociateur mais surtout l’à propos dans les discussions
avec les représentants de la direction. « Il a toujours
le mot juste pour dénoncer l’absurdité de la
situation ». « lors des négociations des trente cinq
heures, il a tout fait pour les amener ou il voulait …
Et quand , il était prêt à signer l’accord central, il a
fait le tour des popotes pour expliquer l’accord,, il a
un côté pédagogique très intéressant…c’est un séducteur
… » (David, technicien supérieur rentré en 1985
après avoir travaillé comme technicien itinérant) C’est
une personne reconnue dans l’entreprise pour ses prises
de position, son franc parler, ses combats.
Eliane, la « co-déléguée » est devenue déléguée
syndicale, suite à un remaniement des rôles au sein de
la section, du fait du départ précipité de l’ancien
délégué syndical. A force d’argumentation et de
persuasions de la part de Benoît, elle a consenti à
assumer ce rôle et ce statut. Elle a endossé cette
responsabilité syndicale en plus de son rôle de
trésorière. Dés le départ, elle a spécifiée qu’elle
acceptait à titre provisoire, qu ‘elle ne souhaitait pas
s’impliquer. Elle existait sur le papier mais toutes les
démarches revenaient à Benoît. « D’accord j’accepte
mais tu fais tout, les réunions et tout « C’est du
provisoire qui dure. Cela fait cinq ans que la section
est conjointement dirigée par Eliane et Benoît. Elle a
accepté à reculons. Cette distance par rapport à son
implication syndicale peut s’expliquer par la continuité
de son activité salariée. Elle mène de front les deux
activités professionnelle et syndicale, contrairement à
Benoît qui se consacre totalement à son activité
syndicale. Une peur l’anime celle de perdre pied avec la
réalité du travail. Elle ne recherche pas une
reconnaissance de ses pairs dans l’entreprise, mais plus
un collectif avec qui partager. Ce collectif, elle l’a
auprès de ses amies syndicalistes. Elle craint que les
prises de positions et ses discussions avec la direction
l’amènent à être en porte à faux par rapport à ses
collègues femmes qui constituent son groupe de
référence. L’expression militante d’Eliane s’est
construite à partir de l’intimité du groupe et de ses
actions menées par le groupe. Elle se sent plus en
confiance quand elle a l’appui de ses collègues
syndicalistes et que les actions sont le fruit d’une
réflexion collective. Le repli d’Eliane sur ses bases
provient de son mode d’entrée dans le syndicalisme et ne
se comprend qu’en lien avec le groupe des femmes de la
section.
L’entrée dans
le syndicalisme
L’expression syndicale des femmes et notamment d’Eliane
se comprend quand nous analysons leur arrivée dans le
syndicat. Elles se sont syndiquées pour faire partie
d’un collectif qui puisse leur permettre d’exprimer
leurs opinions, pour agir. Contrairement aux hommes qui
ont une démarche beaucoup plus individualiste, elles ne
recherchent pas une reconnaissance au sein de
l’entreprise. Les hommes militent et donnent une
visibilité à leur engagement, quand leur reconnaissance
en tant que professionnel est en jeu. C’est un moyen de
s’affirmer individuellement en tant que technicien ou
ingénieur.
L’engagement syndical, pour ces femmes, était une
question de survie. Le fait de se syndiquer et de
revendiquer leur appartenance à un syndicat, c’est
entreprendre un processus d’individuation mais aussi de
construction identitaire. Il est tout à fait surprenant
de noter qu’au début de leur activité professionnelle,
ces femmes existaient au regard des autres comme mère,
femme en recherche d’un mari. Elles n’accédaient pas
aux reconnaissances sociales du travail. Au sein de
l’entreprise, ces femmes vivaient leur statut comme non
professionnelle. Travaillant dans un univers masculin,
occupant les postes les plus bas, « tu sais toute la
journée tu es en travail posté … tu restes à ta place et
tu vises toujours le même endroit du téléphone ou tu
mets toujours la même pièce …c’est pas très intéressant…(Marie
technicienne ; rentrée en 1975 comme ouvrière non
qualifiée). Les postes les plus méprisés car ils ne
nécessitaient aucune compétence et qualification
particulières. Elles n’appartenaient pas au monde des
travailleurs si ce n’est par leurs conditions de vie,
n’ayant pas de qualifications reconnues dans
l’entreprise. « le travail c’est une question de mecs,
…alors les femmes n’ont pas à y mettre leur nez, tels
sont les propos tenus à Noëlle quand elle a souhaité
s’affirmer dans l’atelier. Leur présence même dans
l’atelier n’est pas légitimée :
« Tu sais j’ai dû faire ma place physiquement, montrer
que je faisais partie de l’équipe quand j’ai commencé à
faire des réparations de cartes téléphoniques, c’était
dur … avant on était entre filles sur la chaîne, on se
serait les coudes mais là, j’étais la seule femme parmi
dix hommes, ah ça oui, ça été dur … »
(Noëlle)
Elles étaient considérées comme des éléments non nobles,
tendant à dévaloriser la profession et le travail. Le
fait qu’elles occupent des emplois non qualifiés, les
hommes les percevaient comme une menace pour la
légitimité et l’intégrité de leur travail. Elles
vulgarisaient le travail et rendaient l’accès à celui-ci
plus facile. D’une certaine manière, comme le dit Eliane,
« elles démystifiaient l’univers du travail ».
Malgré elles, elles se trouvaient au milieu d’enjeux,
qui se jouaient sur la place de la femme dans l’univers
professionnel. Il leur fallait trouver une possibilité
d’expression, un moyen de médiation pour gérer les
conflits entre les collègues masculins, la hiérarchie et
elles. Conflits liés le plus souvent à leur condition de
femmes. Des absences pour enfants malades, des rigidités
d’horaire liés à la garde des enfants, des temps de
pause plus fréquents lorsqu ‘elles sont enceintes ou
indisposées … Il leur fallait revendiquer leurs
spécificités liées à leur condition de femme.
« Alors du temps de la fab, on embauchait à 7 heures 30,
c’était pas facile quand t’avais des gamins qui allaient
à l’école ou out petit, ton salire il allait pour la
nounou. Ils allaient chez la nounou le matin et le soi
et puis ici c’était la campagne au début, alors les
moyens de transport, les bus y avaient presque pas … ah,
c’était galére …Et ça c’est une histoire de filles … les
mecs ils s’en occupent pas, y s’posaient pas la question
fallait être à l’heure … Ca les intéressaient pas les
chefs de savoir que ton p’tit gars il est malade, peuf,
tu dois tenir ton poste jusqu’au bout … Qu’est-ce qu’on
c’est engueulé avec les filles là dessus, les chefs ils
voulaient pas comprendre … Le mieux c’est quand ils nous
disaient qu’on devait rester à la maison mais y en a qui
gueulaient car leur mec il était au chômage et y a
qu’elles qui faisaient bouillir la marmite … Il est
p’tit not’e salaire, mais il est bien utile … »(Marie)
Comme nous le confirment les propos de Marie, les femmes
au début de leur activité professionnelle, tant qu’elles
n’avaient pas entrepris un processus de
professionnalisation ;, n’étaient perçues qu’à travers
la vision traditionaliste que renvoie la société. Une
fois qu’elles ont décidé d’adhérer à une centrale
syndicale, elles s’inscrivent dans une démarche
militante, et rendent visible leur engagement au niveau
de l’entreprise. Cette visibilité se manifeste lors des
élections. Elles se positionnent pour obtenir un mandat
aux différentes instances paritaires de l’entreprise.
Elles distribuent les tracts aux portes de l’entreprise
à l’heure de l’embauche. Elles diffusent l’information
syndicale parmi leurs collègues. Pour illustrer notre
propos, nous allons nous intéresser au parcours de trois
femmes qui, chacune à leur manière ont investi leur
rôle de militante syndicale au sein de l’entreprise et
ceci en lien avec une démarche de vie, de comportement
au quotidien.
Dominique :
un engagement politique
Dominique[4] devient la première déléguée syndicale
femme de la section (et de l’entreprise), au début des
années quatre-vingts. Elle accède à cette fonction avec
l’appui de l’ensemble des membres de la section, de son
syndicat des métaux et de l’union locale. Elle se lance
dans cette aventure munie d’une expérience de militante
dans les milieux féministes de la région. Le délégué
syndical est le porte-parole de la section, sa figure de
proue. Il représente, porte le projet de la section
auprès du « patron », des salariés et des autres
syndicats présents. Être dans cette position c’est
s’exposer à un ensemble de pressions, de sarcasmes, de
critiques de la part de tous les protagonistes. Il est
nécessaire d’avoir la force de supporter l’ensemble des
remarques, mais aussi d’avoir l’ambition de faire
reconnaître sa position.
Dominique s’expose à double titre en tant que femme, en
tant que déléguée syndicale. Cette double identité,
Dominique y est confrontée dés sa nomination. Elle
innove, bouscule les habitudes mais surtout elle fait un
pas significatif et symbolique pour l’intégration des
femmes comme main d’œuvre à part entière dans la vie de
l’entreprise. Elle met en place une campagne de
revalorisation des salaires des femmes. Même emploi,
même salaire. Les femmes accèdent au même niveau, au
même titre, aux mêmes rôles syndicaux que les hommes.
Disposant d’un outil qui lui permet de conforter la
place des femmes en militant pour l’égalité des sexes,
pour les conditions de travail des femmes, elle peut
appliquer, porter des projets féministes. Nos
recherches sur les archives de la section, nous montrent
l’importance de l’action de Dominique .Des tracts sont
consacrés à la reconnaissance de la main d’œuvre
féminine en demandant l’égalité des salaires entre les
hommes et les femmes, sous forme d’un rattrapage dans un
premier temps, puis d’une égalité en fonction des
qualifications, du nombre d’années dans l’entreprise, la
reconnaissance des diplômes dans un second temps.
« Toutes les OS sont en droit de revendiquer la
catégorie professionnelle … le travail effectué vaut
bien cette catégorie, elles ont suffisamment
d’ancienneté, de connaissance du boulot « (Extrait
d’un tract CFDT du 21.01.80). Dominique veillera à ce
que les mêmes opportunités d’avancement soient proposées
aux hommes et aux femmes, ainsi que les mêmes
possibilités de formation. Elle prône et milite pour une
égalité des sexes au travail.
Dans l’absolu l’accès à cette fonction représentative du
personnel est une opportunité. C’est sans compter avec
la lutte syndicale et la dureté des combats, des débats.
Exister, c’est se faire respecter. Ses opposants
syndicaux mais aussi patronaux vont méthodiquement
détruire la crédibilité de Dominique vont mettre sa
parole en doute, ridiculiser ses prises de positions.
« ils m’en ont fait voir…je disais quelque chose ils
disaient l’inverse, j’avais toujours mal compris si la
CFDT signait un accord c’était un accord tronqué, je
m’étais vendue au patron. Tout ce que je disais était
déformé. » (Dominique)
Alors que le délégué syndical en temps normal doit être
considéré comme le porte-parole de la section et plus
largement des salariés dans le cas de Dominique, le
délégué syndical est réduit à une individualité. Les
partenaires ne voient pas en Dominique les fonctions
qu’elle représente mais son sexe. Cette hostilité se
manifeste par des insultes « salope, putain … »Insultes
dévalorisantes et diffamatoires, des rumeurs :
« On disait qu’elle couchait avec la direction, que
c’était une traître… qu’on pouvait pas lui faire
confiance, faut voir aussi qu’à l’époque c’était la
guerre avec nos collègues de la Cgt, ça n’a rien à voir
avec les relations d’aujourd’hui maintenant c’est
tranquille… et, puis tout était à faire … y avait les
menaces de licenciement c’était la lutte des classes
(rires)
(Denis technicien)
Dominique était considérée comme une ennemie du fait de
sa condition de femme dans cet univers d’hommes, compte
tenu du message qu’elle diffuse sur l’intégration du
personnel féminin et l’égalité des chances pour le
personnel féminin. Aujourd’hui, c’est elle qui lors des
bilans sociaux va s’interroger sur le recrutement des
femmes, sur leur proportion dans l’entreprise et la
place qu’elles occupent. Si elles sont ingénieurs
accèdent-elles aux postes à responsabilité ? Sont-elles
sollicitées pour prendre des temps partiels ? Tout au
long de son parcours Dominique va ouvrir la voie aux
femmes en leur montrant qu’il est possible d’obtenir les
mêmes statuts, postes et rémunérations que les hommes.
D’ouvrière non qualifiée rentrée dans la vie active à
quatorze ans, Dominique occupe maintenant un poste
d’analyste programmeur. Elle a entrepris une formation
seule pendant trois ans.
Le premier syndicat implanté dans l’entreprise fut la
CGT. De ce fait de nombreuses femmes au départ se sont
syndiquées à la CGT. Au fur et à mesure de son
implantation, le recrutement de la CFDT s’est féminisé.
L’une des raisons évoquées était le manque de
considération puis le non accès à la parole, même entre
syndiqués. Les humiliations et la docilité demandées à
la chaîne se reproduisaient dans la section. « Ah,
ben tu sais la considération chez eux (rires) Avec nos
voisins il faut obéir au coup de sifflet » (Nadine
technicienne, rentrée dans l’entreprise en 1973 comme
ouvrière non qualifiée). Les femmes souhaitaient trouver
au sein de la section syndicale un lieu amical où leur
parole serait prise en compte. Elles désiraient se
construire leur lieu d’échange, échappant aux pressions
du travail. Dominique va être la femme de la situation.
Elle va proposer la création d’une commission femmes.
Cette commission femmes sera prétexte à élaborer des
relations autour de l’activité professionnelle mais
aussi plus larges.
Son combat en tant que déléguée syndicale va construire
sa légende mais aussi l’étiqueter comme activiste,
parfois dangereuse. Dangereuse parce qu’elle refuse de
s’estimer battue qu’elle revient sans arrêt à la charge
pour obtenir ce qu’elle veut. Ce combat, elle l’a mené
mais à quel prix ? Elle en est ressortie meurtrie,
blessée devant l’ensemble des humiliations et
difficultés qu’elle a dû affronter.
Au niveau de l’histoire de la section quand nous nous
interrogeons sur la succession des délégués syndicaux,
le parcours de Dominique est toujours évoqué. Elle
ressort grandie de « cette aventure » aux yeux des
membres de la section, qui ont pris conscience des
difficultés qu’elle a rencontrées, de son courage, de la
violence qu’elle a endurée. Elle relate d’ailleurs cette
expérience avec douleur et amertume. « C’était
dur…ils m’ont insultée, traînée dans la boue …je ne peux
pas leur faire confiance… je suis partie autrement c’est
moi qui y restais… »Elle a démissionné car la
réalité était trop dure à assumer. Etre délégué syndical
implique une abnégation totale à sa fonction, un certain
sacrifice de soi. Elle pouvait matériellement endosser
ce mandat du fait de sa situation matrimoniale :
célibataire. Elle partait avec un handicap cependant
elle n’était même pas mère elle était que femme. La
dureté de ses opposants elle la doit à sa qualité de
femme mais aussi à l’image qu’elle en donne une femme
célibataire qui s’assume financièrement qui milite qui
s’oppose aux hommes.
« Les femmes vont trop vite, alors qu’eux ils ont mis un
siècle pour y parvenir à ce qu’ils sont elles ont la
prétention au bout de quelques années d’y accéder elles
aussi
« (Michel, syndiqué CGT technicien rentré comme ouvrier
spécialisé en 1973)
Elles doivent connaître endurer la dureté du milieu du
travail, se construire une histoire professionnelle.
Eliane : la
recherche d’une convivialité
Eliane,[5] la co-déléguée syndicale de la section depuis
1995 a rallié la CFDt après un bref passage à la CGT.
« Quand tu arrivais, la CGT te tombait dessus et puis tu
y allais mais bon ça n’allait pas du tout, je n’était
pas d’accord avec eux… j’ai travaillé avec des personnes
de la CFDT j’ai discuté et ils m’ont séduit ça allait
plus dans le sens que je pensais …alors j’ai pris ma
carte. »
Embauchée en 1973 comme ouvrière non qualifiée
travaillant à la chaîne en travail posté, elle subit ce
travail du fait de sa pénibilité dureté. Mais quand elle
évoque ce temps, en dehors du rythme de travail et des
conditions du travail posté, elle considère que
c’était :
Le bon temps …Tu sais à l’époque on était jeune, on
s’enflammait pour un rien, on faisait la fête tout le
temps, on était une bonne équipe et puis le syndicat
renforçait ces liens… Quand on en avait marre on
stoppait la chaîne et on allait à la plage, maintenant
tu n’as plus ça, tu n’as plus de groupe, la force du
group comme ça, c’est autre chose. »
L’une des premières motivations déterminant son
implication dans l’activité syndicale c’est le collectif
et son impact auprès de la direction. C’est une façon
aussi de relativiser ses conditions de vie en
s’apercevant qu’elle n’est pas seule à partager cette
existence. Quand nous observons son mode militant,
l’aspect le plus évident est la prise en charge de
l’organisation matérielle de la vie de la section. C’est
elle qui se charge d’approvisionner la section en
apéritif, gâteaux apéritif, brioches, café etc. Elle est
l’initiatrice des rites de convivialité de la section,
au point de rappeler à l’ordre les membres de la section
qui ont manqué à ces règles. Ils n’ont pas arrosé la
naissance de leur enfant ; leur augmentation, leur
promotion… Nous retrouvons Eliane lors des
manifestations, grèves au coin sandwich, servant le
café, les boissons et tartinant. Elle gère les
banderoles, les pots de peinture pour les inscriptions,
les cadenas pour fermer les grilles, le micro, la sono
etc.
Elle est sur tous les fronts de l’organisation au point
d’endosser le rôle de trésorière de la section depuis
plus de dix ans. Etre trésorière pour elle, n’implique
pas seulement de collecter les adhésions, renouveler les
abonnements de la section, mais c’est aussi de diffuser
l’information à l’ensemble des adhérents et
sympathisants, une fois par mois par courrier interne,
c’est organiser des repas buffet pour échanger deux à
trois fois l’an à la section avec l’ensemble des
sympathisants et membres de la CFDT, c’est servir de
boite aux lettres pour les personnes extérieures à
l’entreprise, c’est aussi le lien hebdomadaire avec
l’union locale, départementale et régionale.
Contrairement son implication dans la vie de la section
n’a pas de visibilité au delà de la section. Cependant
Eliane a sa place, elle indispensable à tous y compris
pour ce qui est d’ordre organisationnel et
administratif.
A côté de ces activités, Eliane a accepter rapidement un
poste soit au comité d’entreprise soit de déléguée du
personnel. Le plus souvent, elle travaille avec le
comité d’entreprise. Elle participe aux réunions
mensuelles et s’implique dans la prise en charge d’une
commission « vacances, enfance, ou culture ». Ce
volet de son militantisme est perceptible dans le choix
des orientations des commissions qu’elle anime. Afin de
réduire les inégalités entre l’ensemble des salariés,
elle fut une farouche partisane de la prise en charge
des activités scolaires extra scolaires des enfants des
salariés, avec proposition d’un ou deux voyages par an,
au delà des frontières nationales. Son militantisme est
discret, ne déborde pas de la vie de l’entreprise. Son
intégration dans l’activité de l’entreprise provient du
fait qu’elle « occupe sa place » toute la
journée, ne s’absente que le jeudi jour des réunions de
section « je fais mes heures », dit-elle.
Maud :
une question de survie
Maud[6] vit pour le syndicat. Arrivée comme Eliane et
Dominique au début des années soixante-dix dans
l’entreprise, elle se syndique rapidement d’abord à la
CGT puis à la CFDT. « Ils étaient trop autoritaires,
tu ne pouvais rien dire … » Issue d’un milieu fort
modeste, Maud a connu très tôt la dureté du travail et
l’importance que revêtait le salaire de ce travail. La
déconvenue économique que connaît sa famille anime une
révolte déjà ancienne. Elle souhaite une société et des
entreprises ou l’égalité entre tous soit plus présente.
Son combat dans l’entreprise au fur et à mesure des
restructurations et des évolutions, fut de s’insurger
contre l’état d’esprit individualiste et fataliste des
salariés. Elle considère que rien n’est jamais perdu,
qu’il y a toujours une possibilité de continuer. Lors du
dernier plan de licenciement, de janvier 1996 à décembre
1998, sans cesse, à chaque réunion, elle a soulevé le
problème des reconversions, elle a dénoncé par tracts
les « manœuvres[7] » de la direction. Elle
est une co-auteur des tracts. C’est l’une des rares
femmes qui osent s’exprimer sur les positions
confédérales, éveiller les membres de la section à
certains dangers.
Elle s’investit dans les plus hautes sphères des mandats
électifs. Elle ne se contente pas d’être membre du
comité d’entreprise mais en est la secrétaire. Elle a
été aussi pendant quelques années membre de la
commission économique du comité centrale d’entreprise.
La commission la plus prestigieuse, puisque c’est là que
les syndicats discutent directement avec les membres de
la direction des stratégies choisies, des démarches
entreprises par l’entreprise au niveau national et
international. C’était la seule femme présente dan,s
cette assemblée tous syndicats confondus. Elle manifeste
son opposition au « grand patron : je ne voudrais pas
mettre la zone mais elle peut toujours refuser la lettre
de la direction » et souligne ses travers sans
complaisance : « c’est aberrant, nous sommes en sous
effectif et à la bourre, on nous prévient la veille pour
le ; lendemain et on licencie … »
Maud, pendant deux ans s’ »est mise en retrait du
syndicat et de ses mandats car elle entreprenant une
formation d’analyste programmeur au CNAM. Elle avait
besoin de disposer de temps pour s’y consacrer. Elle se
consacre maintenant au syndicat. Son réseau amical et
affectif est construit sur la sociabilité de la section
et du syndicat. Elle reçoit chez elle ses copines
syndicalistes, partage avec elles ses soucis, ses joies
… La section occupe une place importante dans son
univers, puisqu’il lui arrive régulièrement de venir
pendant ses vacances aux réunions syndicales.
Le militantisme féminin semble très pragmatique, bien
que ses modes d’expression soient différents. Il est
vrai que nous pouvons noter qu’à partir du moment où une
femme adhère à un syndicat ; elle donne visibilité à son
action en entrant dans un processus de militantisme. Cet
engagement se vit différemment selon les femmes,
l’investissement en est différent. L’implication des
unes et des autres dépend de leurs disponibilités, de
leur statut matrimonial et de ce qu’elles recherchent au
sein de ce collectif. Mais toutes ont la volonté de
rechercher un groupe où leurs paroles puissent être
entendues, comprises, non jugées. En s’affiliant à un
syndicat, elles sont entrées dans les marges. Cette
marginalisation leur a permis d’ébaucher un processus
d’individuation et de construction identitaire. Elles
ont au sein de l’entreprise, construit l’image de femmes
actives, professionnelles, en parallèle à celle des
hommes. Elles ont participé à l’élaboration de
l’histoire de l’entreprise notamment en montrant
qu’elles étaient des salariées à part entière.
La section :
lieu de construction
Le syndicat dans un premier temps a permis aux femmes de
montrer qu’elles existaient et qu’elles n’étaient pas de
la main d’œuvre corvéable à merci, devant subir tout une
ensemble d’humiliations. « Comme j’étais à la CFDT,
je pouvais dire que je n’étais pas d’accord, quand je
voulais aller aux toilettes, j’y allais et on
s’affirmait avec des mots comme je vais aux chiottes,
j’ai envie de pisser, c’était assez cru » (Noëlle).
Elles ont commencé à travailler après le collège. Elles
ne détiennent aucune compétence, tout au moins reconnue
dans l’entreprise[8]. Elles portent une image de main
d’œuvre facile car non formée et inexpérimentée. La
volonté de ces femmes se nourrit de la conception de
leur activité professionnelle. Elle n’est pas passagère
mais s’inscrit dans la durée. Si elles sont mariées,
elles continuent à exercer une profession, leur salaire
n’est plus vécu nécessairement comme le salaire
d’appoint. Pour certaines, c’est le salaire du foyer. La
conception du travail féminin a évolué. Le travail doit
être vécu, par ailleurs, comme une activité permettant
l’épanouissement individuel comme le dit Eliane :
parfois, on est pris dans ce travail, il est
intéressant »
Un havre
de parole
La section dés le début favorise la mise en place d’un
processus d’individuation permettant aux jeunes femmes
d’exister en tant que telles. Par le biais d’outils
syndicaux, des moyens sont mis en œuvre pour soulager le
quotidien des jeunes femmes, prendre en compte le
particularisme des femmes seules avec des enfants, suite
d’un divorce ou femme célibataire. Ces initiatives sont
liées aux réflexions menées lors des réunions de la
commission femmes. L’existence de cette commission crée
un espace où les femmes se retrouvent entre elles,
échangent sur leurs préoccupations et les
transformations qu’elles souhaitent voir se réaliser
dans l’entreprise au quotidien. Un autre grand volet du
processus d’individualisation est les possibilités de
formations offertes aux femmes.
En institutionnalisant la parole et la pensée des
femmes, celles-ci sont valorisées. La commission femmes
devient une force de proposition à part entière, au même
titre que les autres commissions. Par ailleurs, c’est
une façon diplomatique d’installer la parole féminine
dans le débat syndical au sein de l’entreprise. Cette
parole silencieuse est révélée. La commission femmes n’a
pas résisté au temps. Elle s’est arrêtée vers le milieu
des années quatre-vingts. Nous constatons que les
habitudes prises à cette époque perdurent. Les femmes se
réunissent en excluant les hommes. Ou les hommes s’auto
excluent. Elles ont pris confiance dans leur parole et
osent dorénavant la mettre sur la place publique quand
elles l’estiment nécessaire. Lors de ces discussions,
elles abordent des thèmes tels que la parité dans
l’entreprise, les problèmes d’untel etc. l’ensemble de
ces échanges ne se borne pas seulement à l’univers de
l’entreprise mais aussi au intérêts des unes et des
autres pour le jardinage, la mode, les travaux
d’embellissement de leur maison, les vacances.
Le ciment de la section, tout au moins entre les femmes
est basé sur une interconnaissance. On se reçoit les
unes et les autres. Il y a une interconnaissance de la
situation des unes et des autres. La section est le lieu
des confidences, des épanchements. De plus, le travail
s’effectuant en équipe auparavant, favorisait l’inter
connaissance. Aujourd’hui les conditions de travail ne
favorisent plus une inter connaissance. Les réunions
d’équipe servent à répartir le travail entre les
collaborateurs, mais non à instaurer des liens plus
personnels entre les membres d’un même service.
Simultanément à cet état de fait les salariés ne sont
pas prêts à s’investir dans une action collective pour
la plupart. Cela tient à la culture des métiers de
l’entreprise et à la culture de l’entreprise.
Pour les femmes, l’affrontement culturel est rude. Les
femmes nouvellement embauchées dans l’entreprise à ce
jour, le sont comme ingénieur. Elles ne partagent pas
l’histoire de ces femmes qui ont dû se construire une
identité professionnelle sur ce site, mais aussi de
femmes active tout en ne niant pas leur rôle
traditionnel de femme dans la société. Elles ne se
sentent pas menacées par la précarité de leur statut et
de leur situation professionnelle. Elles ne ressentent
pas le besoin de s’affirmer aux autres. Elles
travaillent souvent seules, sont rarement confrontées à
une équipe. Elles ne connaissent pas les difficultés
matérielles de leurs aînées. La particularité de leur
comportement s’explique par le parcours qu’elles ont
déjà effectué. Dans les écoles d’ingénieurs, il y a une
femme pour quatre garçons. Elles étaient singularisées
dans l’école. Elles se sont imposées, appliquées à un
ensemble de comportements, qui correspondent aux codes
masculins du milieu dans lequel elles évoluent
désormais. Conjointement, elles subissaient le formatage
des écoles d’ingénieurs dans la construction de
l’habitus de l’ingénieur moderne.
Lorsqu’elles s’intéressent au collectif, c’est en cas de
menace de licenciement de manque de charge de travail
dans le secteur d’activité ou lors de conflit avec la
hiérarchie, lors de la demande de temps partiels par
exemple. Il faut quelles soient individuellement
confrontées à une difficulté que seul le collectif et
notamment le syndicat peut résoudre. La motivation de
l’entrée dans le syndicalisme est liée à une situation
individuelle douloureuse et conflictuelle. C’est un
syndicalisme défensif et non offensif. Elles viennent
chercher un service. Une fois la réunion terminée, elles
ne vont pas rester pour essayer de nouer des liens avec
les autres femmes des la section, elles partent
déjeuner, vaquer à leurs occupations. Nous constatons
que les clivages sexués des débuts s’atténuent au fur
et à mesure que la population salariés de l’entreprise
s’homogénéise.
Contrairement aux nouvelles embauchées l’activité
syndicale peut être un moyen d’affirmation et de
construction de son identité professionnelle et de
femmes. Le militantisme, l’implication syndicale dans la
défense des travailleur, de certains idéaux,
l’amélioration des conditions de travail et de vie
permettent à certaines femmes de s’affirmer par cette
voie revendicative. Elles expriment leur vécu
différemment de celui des hommes, mettent en lumière
l’aspect féminin de la main d’œuvre. L’un de ces aspects
pour les femmes de l’entreprise est la formation. Cela
tend à être moins prononcé du fait de la nature du
recrutement : tous sont des ingénieurs. Par contre les
femmes qui ont commencées dans l’entreprise sans
qualification, afin de résister aux différentes vagues
de licenciements, aux restructurations ont suivies des
formations. Le syndicat fut d’un grand secours en
favorisant la mise en place d’une politique de formation
continue au niveau du site nantais.
La formation
reconnaissance d’une main d’œuvre
« L’un des chevaux de bataille de la section c’est la
formation » annonce Benoît. La section travaille
auprès de la direction de l’entreprise pour que soient
mis en place des plans de formations. L’argument retenu
pour exiger des formations longues et diplômantes c’est
qu’il faut préparer les métiers de demain. Du passé, des
différentes restructurations et périodes de
licenciements, la section a retenu qu’il fallait prévoir
les évolutions des différents métiers à venir, mais
aussi qu’un diplôme ou une qualification reconnus dans
l’entreprise protégeaient les salariés « l’un des
rôles majeurs de l’action dans des entreprises comme la
nôtre c’est de préparer aux mieux les gens à amorcer les
tournants technologiques » (Benoît) Les moyens dont
disposent les militants sont la mise en place de
formation. Sous couvert de formation le syndicat permet
une reconnaissance de la main d’œuvre non qualifiée ou
peu qualifiée vers une professionnalisation, ainsi
qu’une promotion sociale sans compter la sauvegarde à
plus long terme d’un emploi. De plus, réussir
brillamment une formation c’est pour la direction
reconnaître en la personne des capacités d’adaptation
ainsi que de parier dans le temps sur elle.
L’idée du syndicat c’est qu’un maximum de personnes
arrivent à un niveau de compétence où elles sont
reconnues polyvalentes et aussi aptes à s’adapter aux
nouvelles technologies. Nous devons tenir compte aussi
de la confrontation des niveaux de formation, puisque
l’entreprise ne recrute plus que des ingénieurs et des
cadres. A terme, l’ensemble du personnel ne sera
constitué que d’ingénieurs et de cadres. Les autres
qualifications seront amenées à être externalisées. La
direction a l’ambition de former des centre de
compétences et donc de rassembler les salariés selon
leur qualification et leur domaine de compétence. La
formation permet au salarié de maintenir son niveau
d’employabilité et par conséquent ses chances de rester
dans l’entreprise. Alors qu’au départ la formation avait
pour objectif de former un personnel afin de sauvegarder
des emplois, aujourd’hui la formation est une composante
de la vie professionnelle de ces salariés.
Pour les premières populations de femmes qui ont été
recrutées la formation s’est révélée être une
opportunité. Certaines n’ont pas attendu que
l’entreprise soit contrainte de proposer des formations
comme dans le cadre de la cellule de reclassement lors
d’un plan social, mais ont entrepris seules la démarche.
L’entrée dans un processus de formation est le résultat
d’une trajectoire individuelle. Il ne s’agit pas
simplement d’opportunité mais de rapport au savoir.
Ainsi lors de la première restructuration, la cellule de
reclassement propose à certaines personnes des
possibilités de formation soit vers les métiers de
l’informatique soit vers la réparation de produits
informatiques après une évaluation de chacun des
participants. Les jeunes femmes qui ont eu la chance de
suivre une formation n’ont pas eu le choix de leur
orientation. Après une série de tests, c’est l’organisme
de formation qui les a orientées vers l’une ou l’autre
formation, qui a terme n’offrait pas les mêmes
perspectives. Pour l’une, les jeunes femmes sortaient
avec un brevet professionnel, pour l’autre la formation
consistait en l’obtention d’un diplôme d’analyste
programmeur.
Eliane a cette époque a pu suivre une formation
d’analyste programmeur en alternant temps de travail et
temps de cours. Au CNAM. Elle reconnaît que c’était dur
de faire l’aller retour entre le travail posté et le
travail intellectuel. La difficulté ne résidait pas
seulement au niveau du rythme mais aussi dans
l’apprentissage de nouvelles matières, et dans le fait
« du retour à l’école ». Après sa journée, Eliane
revoyait les cours chez elle et préparait les examens.
Même si elle avait eu des cours de remise à niveau,
l’investissement personnel était très important.
Secondée par la section et sa famille, son effort a
payé.
« C’était dur …heureusement je l’ai fait quand les
enfants étaient petites … et puis Loïc (son mari) était
au chômage et c’est lui qui s’occupait des filles, de
tout, de la maison … Je ne recommencerai pas aujourd’hui
… j’étais jeune… »
Protégée par sa qualification, les deux autres
vagues de licenciements elle va les regarder passer.
Ayant le savoir et la légitimité de sa qualification,
tout restait à faire pour se faire accepter , cependant.
Eliane comme Dominique de par leur nouveau poste ont
découvert d’autres modes de travail et d’autres
relations au travail. Elles arrivaient dans une nouvelle
équipe au même titre que la majorité des salariés. Elles
ont participé à l’histoire du service, à sa culture, à
ses modes de fonctionnement. Elles n’arrivaient pas sur
un terrain déjà construit, contrairement à leur entrée
dans l’entreprise. L’une des particularités de leur
nouvel emploi fut pour elles, l’individualisme régnant.
Par contre, elles se sont aperçues que leur parole
comptait quand elles étaient sollicitées. Elles
n’étaient plus considérées comme des machines
exécutantes mais comme des êtres pensants.
Pourtant quand nous nous intéressons à d’autres parcours
de femmes, tout n’est pas si facile. Noëlle rentrée en
1975 dans l’entreprise à commencé a travailler à treize
ans avec une dérogation chez les maraîchers. Elle va
construire son ascension sociale à force de persévérance
et de volonté. Déçue par sa réorientation
professionnelle –le centre de réparation – elle va tout
mettre en œuvre pour cherche à se perfectionner et
s’ouvrir à d’autres perspectives. Dans une dynamique où
elle cherche sans cesse à accéder au savoir, elle
entreprend des formations sur son temps personnel. Le
savoir et la connaissance pour Noëlle sont
indispensables à l’individu pour s’épanouir, avoir les
outils nécessaires pour vivre dans la société
contemporaine. Il faut avoir accès à la connaissance
pour exercer un sens critique sur les évènements. Saisir
toutes les opportunités pour apprendre, connaître,
valider cette connaissance. Noëlle a été frustrée de
devoir travailler si jeune pour des raisons familiales.
Elle est en quête permanente pour satisfaire ce manque.
Très rapidement elle va entreprendre de passer son DEAU,
en travaillant unité de valeur par unité de valeur. Sans
cesse, elle est en phase d’apprentissage « j’ai
toujours voulu faire des études mais j’ai pas pu alors
maintenant je le fais j’aime apprendre ». Lorsque
l’entreprise accepte à nouveau qu’un cycle de formation
d’analyste programmeur soit mis en place elle est sur
les rangs. Après un cycle de remise à niveau, elle
intègre le CNAM. Suit les cours deux jours par semaine
et occupe son poste le reste de la semaine. Elle
soutient ardemment ses trois collègues syndicalistes en
instaurant entre midi et deux des temps de révision et
d’exercices au local syndical. Une solidarité naît face
à l’effort et au défi que représente cette formation.
Par ailleurs, elle est soutenue comme les autres par les
membres de la section, particulièrement Eliane et
Dominique techniciennes supérieures.
Malgré la solidarité entre femmes, lors de la remise à
niveau deux femmes de la section, Nadine et Marie sont
déstabilisées et abandonnent. Entreprendre une formation
ce n’est pas simplement apprendre un nouveau métier,
acquérir de nouvelles connaissances, c’est aussi se
remettre en question par rapport à ce que nous sommes
au moment où nous entreprenons la formation et ce vers
quoi nous tendons. C’est s’interroger sur sa place dans
la société. Leur situation de mère les a mise en
concurrence avec leurs enfants adolescents, qui leur
expliquaient les mathématiques, le français. Elles
avouaient leur niveau scolaire ouvertement,
reconnaissant leur faible niveau d’instruction. Elles se
sentaient dévalorisées aux yeux de leurs proches. Alors
que dans la section, tout le monde les encourageait,
essayait de reprendre avec elles les exercices, chez
elles, elles se sentaient diminuées.
Parallèlement, elles ne parvenaient pas à se dégager
des temps pour travailler à leur domicile. Leur
situation maritale et la répartition des tâches
familiales empiétaient sur leur temps de révision. Le
coût de l’investissement humain dans la formation, dans
l’immédiat était trop cher. Elles ne souhaitaient pas en
payer le prix et remettre en cause leur équilibre
familial. Nous pouvons observer au niveau de la section
que l’ensemble des femmes qui sont arrivées au bout des
formations entreprises avait des situations familiales
où elles étaient le pilier de la famille. Leur salaire
était la seule rentrée d’argent du foyer, ce n’était pas
un salaire d’appoint. Toutes disposaient d’un temps pour
travailler ou se l’aménageaient du fait de l’urgence de
la situation. Pour s’en sortir, pour être plus à l’aise,
elles acceptaient les sacrifices de la formation « les
lendemains seront meilleurs comme le disait Noëlle.
En conclusion
L’activité syndicale a été pour ces femmes un moyen de
s’intégrer dans l’entreprise, montrer la part féminine
du personnel en des temps ou cela n’allait pas de soi,
un moyen de valoriser la femme en tant que
professionnelle. Cependant, nous remarquerons que
l’arrivée de jeunes femmes dans la section est motivée
par les craintes du chômage souvent ou d’atteinte au
service à un moment donné. Après avoir obtenu ce
qu’elles souhaitaient, elles repartent comme elles sont
venues. Cette attitude concerne autant les hommes que
les femmes. D’ailleurs les particularités sexuées du
syndicalisme tendent à s’atténuer.
Une des questions qui se pose est de savoir de quelle
façon les femmes vont pouvoir continuer leur affirmation
professionnelle dans les métiers techniques, puisque le
nombre de femmes ingénieur est infime. L’entreprise
embauche au niveau ingénieur, ce qui entraîne une
augmentation de la part des hommes dans l’entreprise,
alors qu’elles sont d’avantage présentes comme
techniciennes (analyste programmeur). L’autre volet de
l’action syndicale au féminin en dehors de la difficulté
d’assurer la relève est la non continuité d’un savoir
faire, d’un vécu syndical. Les jeunes générations de
travailleuses n’ont pas eu à mener de combat particulier
pour s’affirmer dans le travail. Leur identité de femme
n’a pas été remise en cause. De plus, lorsqu’elles
arrivent dans l’entreprise, elles ont déjà acquis et
assimilé, en partie le langage symbolique de leur milieu
professionnel. Au point que leur sens collectif et
revendicatif est anesthésié. Il y a une volonté
d’inhiber la culture revendicative chez les ingénieurs
et cadres.
Par
Anne-Sandrine
CASTELOT
Université de Nantes
Département de sociologie,
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