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Encre
et Gouache
Mireille Petit-Choubrac
Copyright Lestamp Edition-
Pour l'Edith
Piaf de
J. Deniot. 2012 |
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L'Eté du Lestamp
2012
s'est
déroulé les 28 29 et 30 juin 2012
sur le
thème
Des Hommes
Des Femmes
Inerties et
métamorphoses
anthropologiques |

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T 06 88 54 77 34,
0977093713
email:
jacky.reault@wanadoo.fr
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sociologie de la chanson et de la
voix SOCIOLOGIE DE L'ART SOCIOLOGIE DES CULTURES
POPULAIRES
Sociologie de la chanson et de
la voix
France Culture,
lundi 22 juillet 21 heures, dans
l'émission La vie en Piaf
de Maylis Besserie
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L’arène
de la Star Ac 2005
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Joëlle DENIOT
Professeur de sociologie à l'Université de Nantes
Membre nommé du CNU 19°
Section,
Présidente du Lestamp-Association
Droits de reproduction et de diffusion réservés ©
LESTAMP 2006 |
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Voeux du LESTAMP pour 2018

L'arène de la star'Ac 2005
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D’abord un constat. Parmi tous les spectacles de la
télé-réalité, celui de la Star Academy est celui
qui capte le plus grand nombre d’adeptes. Même si l’on y
pense, on est bien loin, dans ce drôle de jeu, de
l’ancêtre bonhomme des radio-crochets où des débutants
s’affrontaient sans renfort de mise en drame et sans
grand décorum, en vue d’un éventuel contrat avec quelque
maison de disques.
Ici, on a monté les enchères, gonflé l’investissement et
le suspens, on a fait sonner bien haut les trompettes de
la renommée. |
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Ici, on
souhaite échauffer les esprits et les nerfs, car on souhaite
gagner gros. Les maîtres d’œuvre et de profit se nomment TF1,
Endemol, Universal. La mécanique est mondialement rodée. Par
froid calcul sur l’irrésistible vertige des fascinations, elle a
progressivement entraîné le public des très jeunes, puis des
moins jeunes français et cela, depuis l’an 2000. Avec 8 millions
800 mille téléspectateurs déclarés par le juge Audimat, à
l’occasion de la finale 2005, ce programme est en train de
s’imposer comme la plus envahissante émission de variétés de
l’écran, toutes chaînes confondues.
Lorsque l’on s’intéresse à la chanson et aux cultures populaires
et que de multiples échos furieux, enthousiastes de ce
ring-market des fantasmes à prétexte musical, finissent par
bribes, à vous parvenir, il est alors difficile de faire la
sourde oreille à ce qui, cette saison plus particulièrement, se
révéla comme un véritable phénomène social où l’on y acheva
bien… et le peuple et l’enchantement des chansons.
Répétitions
Depuis cinq ans déjà l’affaire se lance au début de
l’automne, c’est le temps de l’école. Puis elle s’évanouit quand
vient Noël, c’est le temps des vacances et d’un autre marché. Le
scénario est stable, il s’ancre sur des émotions primitives et
fortes : combat, manipulation, rumeurs, désir de l’idole que
l’on adore, que l’on immole… Et l’engouement va crescendo
jusqu’à l’élection du vainqueur, porté par les votes souverains
et cher payés du public.
La
recette paraît simple : d’abord mettre en vedette des
professionnels branchés du show-biz, jouant les professeurs et
conseilleurs mi-charmeurs, mi- pervers ; puis programmer du
coaching en tout genre et faire défiler, à fin de sélection,
devant cet aréopage d’experts musique et danse, une bande – se
réduisant au fil des semaines - de jeunes amateurs de chansons
et /ou de miroirs, fébriles élus d’un gigantesque casting et
tous désireux de changer et de peau et de vie.
On les a isolé de tout contact avec l’extérieur, rassemblé dans
un château d’où quiconque, supporter subjugué ou spectateur
amusé, pourra observer - via Internet notamment – l’intégrale
interminable de leurs apprentissages et de leurs humeurs. Ils
ont accepté de quitter la foule des hommes pour entrer dans le
cadre des images surexposées. Compétition, évaluation, cruauté,
pressions, agressions, dépressions assurées. Aux marches de
Larmes-mary-les-Leurres, le vieux destin s’amuse et se relooke.
Le face à face anecdotique des geôliers affables et des
prisonniers volontaires se livre à caméras et micros ouverts,
par feuilletons journaliers, à épisodes répétés. Les uns ont
rêvé. Les autres ont compté. Tout fut calculé. Et pourtant
Magalie vint…
L’imprévue
Dix-huit ans, pas très grande, une silhouette lourde peu
susceptible d’entrer dans une gamme de vêtements pour Lolita,
des yeux enfantins ; une jeune fille issue d’une famille
apparemment très modeste, vivant dans une petite commune du Val
d’Oise ; un plaisir spontané de chanter d’une voix puissante,
des airs connus de la variété française : Magalie n’avait rien,
croyait-on, d’une vedette potentielle, même éphémère. Mais de
semaine en semaine, elle imposa sur les écrans « de chaque
quotidienne », sa résistance muette aux remarques malveillantes,
sa simplicité nourrie à la fois d’une détermination farouche et
d’une grande timidité, et puis, elle imposa cette force abrupte
de sa voix…
Elle a du coffre la petite… Le propos commença à circuler
dans les familles, entre voisins. Et je fus d’abord alertée par
cette rumeur commune de l’enthousiasme immédiat, glissée au fil
des conversations. Elle avait touché un public populaire, déjà
familier de ces Prime TF1 du vendredi soir. Elle remporta
la victoire de ce cinquième marathon, avec à la clef, single
dans l’année et gain substantiel en vue de la production d’un
album sous contrat Universal.
Certes tout ceci serait bien anodin et ne mériterait pas que
l’on s’y attarde, si ce n’était la violence de la polémique
déclenchée dans la presse, sur les forums des internautes, parmi
les protagonistes – côté production, côté réception - de
l’émission, autour de la personne de Magalie, qui, dans la vague
de son succès relatif, devint à son insu bien sûr, l’emblème
d’affrontements sociaux dont la teneur et la brutalité ne
portent guère à sourire.
Enseignant dans un cours de licence de sociologie sur la chanson
et souhaitant donner des pistes à l’une de mes étudiantes
engagée dans une enquête sur le phénomène Star Ac, je voulus me
rendre compte de visu de quelles informations elle
pouvait disposer pour mener à bien son travail. Tout de suite,
les forums des internautes et plus particulièrement celui du
site TF1, m’apparurent être des outils du plus grand intérêt
pour cerner ces transes identificatoires circulant entre les
adolescents et leur héros d’une saison.
Mais c’est bien autre chose que je découvris dans mon parcours,
d’abord distrait, et finalement de plus en plus systématique, de
ces échanges sur toile. L’enjeu n’était pas habituel. Attaques,
défenses, injures dépassaient la banale querelle des fans autour
de leurs élus respectifs. Ce qui s’échangeait là au travers et
au-delà de Magalie l’intruse, se donnait à lire sans
peine, comme symptôme du malaise profond d’une société, comme
symptôme d’une course déjà bien engagée et cela sur tous les
fronts, à la désymbolisation du populaire, mais qui se heurtait
en retour (chose nouvelle et pluri-générationnelle) à la
réaction vive d’une lutte sans complexe contre une telle pente
de stigmatisation.
De la contradiction
Mine dépitée de l’équipe des coachs, étrange focalisation
des images sur Magalie mangeant, dormant tandis que les autres
candidats s’affichaient tout occupés à leur art ou bien à leur
vague à l’âme du moment. Même si un zest de traitement inégal
des postulants ne peut qu’attiser l’audience et embraser le
chœur des supporters, trop d’inégalité en vient à semer le
doute. Des internautes commencèrent à faire entendre leurs
critiques, puis crièrent à l’injustice. Je devins spectatrice
quasi régulière de cette joute à multiples facettes[1]
et me fis investigatrice assidue de ses rouages à travers tous
les supports accessibles des vidéos, des séquences TV, des
posts ; ces derniers se livrant comme de véritables
sismographes[2] d’une réactivité à
fleur de peau.
Même flagrante, la manipulation des émotions s’avère
profondément efficace. Tout s’enchaîne dans un chassé-croisé
troublant de mensonges et de révélations. Spectateurs et
acteurs, tous savent que les dés sont pipés, tout le monde fait
semblant et tout le monde y croit. Marionnettes et
marionnettistes ont ici partie liée, chacun ruse avec son rôle,
car les uns et les autres sont bel et bien personnages d’un
engrenage spectaculaire sans auteur, d’un roman-télé sans
alternative dont le culte planétaire les dépasse.
Mais au gré de ces tours de passe - passe où le rêve s’enlise,
dans cette triste ronde des masques au service du divertissement
à tout prix, nul n’est finalement assuré d’être le véritable
maître du jeu : celui qui tiendrait en main tous les pions et
actionnerait tous les fils. Pourtant, chacun à son tour, croit
pouvoir mener la danse : les candidats s’acharnent, les fans se
mobilisent, les esprits critiques déjouent les pièges, les
professeurs encadrent, les spectateurs s’amusent, la chaîne
remporte la mise. Je perds, tu gagnes, il gagne, vous perdez,
nous gagnons … c’est selon qui joue et jauge les joueurs. Et les
passions vont leur chemin … Là n’est pas la moindre des
contradictions que j’observais d’abord en ma propre personne et
selon l’optique d’une observation participante.
Vraiment, je n’avais auparavant jamais suivi ce programme
puisque j’aimais la chanson dans la vie, pour la vie … et que,
bien éloignée des a priori de l’intelligentsia
française à son sujet, j’en avais même fait, depuis plusieurs
années, mon objet de recherche. Vraiment, toutes les raisons de
principe et de cœur me portaient à condamner cette grossière
instrumentation de l’énergie adolescente - de jeunes gens pour
l’essentiel de familles populaires - cherchant à se faire
entendre ; toutes les raisons me portaient à rejeter cette
clinquante impasse des illusions naissantes, à dénoncer ce
fast-food de la chanson-challenge nécessairement
dénuée[3], par tout cet imbroglio
du match –show, de tout écho intérieur : souffle intime
du lyrisme des amours et des deuils, souffle épique des
engagements les plus périlleux et les plus tenaces.
Et malgré cela, je fus emportée par la colère collective qui
hissa Magalie (bonne débutante, par ailleurs) à la première
place. Je votais pour elle et je fis voter mon entourage.
Victoire réaffirmée du marketing médiatique, du modus
operandi du réalisateur Endemol pourrait-on dire[4] ?
Ou bien victoire déroutante du grain de sable qui enraye la
machine ? Victoire du processus ou victoire critique de
l’événement ? Le résultat, s’il faut parler en ces termes, est
sans doute totalement ambivalent. Il nous rappelle modestement à
la contradiction présente en toute chose, au paradoxe tangible
dont se nourrit toute réalité, à l’attention que l’on doit lui
porter avant de juger trop vite ou de conclure péremptoirement.
Que s’était-il passé ? Quelque chose d’important : un
retournement de l’opinion contre la dictature de la « branchitude »,
un désaveu radical du monopole oligarchique du bel et du bon, un
désaveu radical « du tout conforme » hyper ou néo-bourgeois, la
mobilisation d’un démos discrédité par les formatages en
tous genres, imposés par les élites mondialisées. Oui, ce petit
fait condensa de façon inattendue, beaucoup de solidarité et de
révolte. Ce n’était pas de la politique, bien sûr, mais une
décision du grand nombre, une décision diffuse, inébranlable de
faire face à l’intolérable disqualification dont était victime
la plus décalée des candidates qui chantait bien, mais « riait
trop fort ou trop souvent, qui ne soignait pas assez son
image », et autres broutilles importantes aux yeux des juges en
art de la représentation.
Mais la foule des gens l’avait reconnue, elle était des leurs,
cette jeune candidate sans apprêt, qui chantait en amateur
depuis l’enfance, ils allaient montrer leur puissance. Quatre
fois les experts tentèrent de la mettre hors jeu, quatre fois
les votants la remirent en piste. Jamais une telle obstination
n’avait eu lieu, ce qui me fut confirmé par un journaliste de
presse régionale, par des discussions impromptues auprès de mon
entourage familial large et par de courts sondages réalisés
auprès de mon entourage professionnel mis à contribution
d’enquête. S’il fallait donc raisonner en termes de CSP (même si
la question ne se situe plus du tout à ce niveau), la palette
des témoins s’avérerait finalement bien composite, rassemblant
des salariés, d’âges, d’horizons très variés. Le peuple qui
s’affirmait en cette occurrence, n’était donc pas nécessairement
celui dit « d’en bas », si d’ailleurs, cette expression
contient une quelconque pertinence et si l’on peut, à fin de
réfutation au moins, pour un instant seulement, en utiliser la
trompeuse facilité et l’imagerie douteuse.
L’embarras des décideurs, sous l’œil des caméras, était
palpable ; certains allèrent même jusqu’à perdre leur sang
froid, jusqu’à déclarer, à l’antenne, leur mépris pour le vote
du public et pour la popularité acquise de cette jeune fille. On
a parlé de « fracture sociale », elle s’affichait sans
ménagement en direct ; décidément la vulgarité n’était là où
l’on se plaisait à la désigner … et désormais, tout masque de
légèreté, tout alibi de futilité étaient devenus vains en cette
cinquième chasse aux jeunes talents. Le climat alla
s’alourdissant à Drame-mary-les-Loups.
Car trois mois après le début de l’émission, au sortir de la
« demi-finale filles », l’enjeu sociétal de ce divertissement ne
faisait plus aucun doute. Si des journalistes prirent bien
individuellement, la mesure du phénomène, la presse nationale ne
lui consacra aucun papier, à l’exception notable de Marianne,
toutefois. A la « une » des magazines Télé Star et Télé 7 Jours,
pas question de Magalie ; bizarrement c’étaient les lauréates
précédentes qui s’y retrouvaient anachroniquement mises à
l’honneur. Pourtant, c’est parallèlement et sous initiative de
journaux en ligne que des articles commencèrent à briser le
silence. Magalie, la voix du peuple, a gagné la Star
Academy titrait le site du journal Le Mague, de tonalité
libertaire, au soir de la finale.
A partir de ce jour d’ailleurs, ceux qui s’étaient efforcés de
nier ce surprenant et massif revirement de situation,
s’efforcèrent au mieux de le ramener à la manifestation désuète
d’une psychologie élémentaire : Magalie, princesse de la Star
Ac et des mal-aimés, titrait le Monde le 18 décembre
2005[5], insistant sur ce
tournant dans la lutte contre le morphologiquement correct à la
télévision. Les plus dépités continuèrent dans le déni de
réalité, ils continuèrent à ne pas faire contre mauvaise fortune
bon cœur, à ruminer l’impossible échec ; au premier rang de
ceux-ci : l’animateur principal de l’émission dont les immenses
ressources d’hypocrisie vinrent presque à manquer…
Même huit jours plus tard, à la veille du Noël 2005, lors d’un
soudain programme - anniversaire des cinq ans de la star Ac, qui
prenait, au regard des circonstances, une allure de rituel de
réunification, avec hommage à tous les vainqueurs, l’ambiance
n’y était pas, n’y était plus. Malgré une tonitruante parade
publicitaire en l’honneur de la plus grande émission de
variété, reconnue comme telle par les pus grandes stars
internationales, malgré un déversement inépuisable
d’autosatisfaction, malgré une bonne volonté unanimiste à couper
le souffle, l’aigreur était latente, apparaissait au détour d’un
commentaire, sur les lignes des sourires crispés. Magalie chanta
moins que les autres, apparut moins souvent à l’écran… et ne
reçut que des compliments mitigés. Mais l’indésirée,
sortie de l’isolement du château, avait sans doute été mise en
garde… comme semble l’indiquer cet échange en cours d’émission.
D’abord, il y eut la demande de l’animateur tout miel, tout
fiel :
- « Alors Magalie, tu sembles toute bizarre, tu as fait des
drôles de choses, toute cette semaine , tu as répondu à des
interviews, tu as fait des télés, çà doit te paraître bien
étrange tout çà, à toi »
Et puis, il y eut la réponse très brève, de l’intéressée :
- « Oui, j’ai fait des interviews, des télés, j’ai fait mon
métier »
La timidité n’est pas sans épine … On enchaîne.
Alouette, gentille alouette…
On l’aura bien compris la reine de cette saison bousculait tous
les plans et menaçait peut-être la poursuite de ce type
d’opération show-biz, certes très juteux, mais finalement
trop incertain. Des sites internautes firent même campagne pour
le vote Magalie, à la seule fin revendiquée de faire échouer
le système. Le monde ne tournait plus rond et pourtant …
c’est avec rage et minutie que toute l’équipe de la production
et leurs sponsors cherchèrent à redresser la situation. Oui,
il a fallu la violenter. Si nous ne lui avions pas donné un coup
de pied au cul, elle n’aurait pas mérité de gagner. Magalie a
vécu des moments très durs, c’est vrai, mais c’était le seul
moyen de lui faire entendre les choses déclara non pas
quelque tortionnaire un peu frustre, un peu beauf, au service
des maîtres de chant et de ballet du château, mais la très
respectable directrice de la Star Academy[6],
après le verdict des téléspectateurs.
Car c’est de la tête aux pieds, au propre comme au figuré que
l’on tenta de contester, de reformer la lauréate. Tout en elle …
tout son être, devint bon à jeter et ceci dans une montée en
puissance du dénigrement, du harcèlement qui prit les allures
très cool, très normalisé d’une barbarie - je pèse
bien ce mot – d’une barbarie insidieuse, pour grande écoute,
d’une barbarie modèle médiatisé, et par là même labellisé. Je
fus soudain plus qu’indignée ; j’étais fortement bouleversée par
ce passage actif et sans risque à un véritable racisme de
classe, aurions-nous dit, en d’autres temps de pensée plus
sainement, plus naturellement polémique et de disputatio
intellectuellement requise.
On peut déceler les indices d’une telle réalité en se référant à
l’éphéméride du site officiel TF1 de la Star Ac 2005, dont j’ai,
au fur et à mesure, imprimé quelques extraits. Heureuse
précaution, puisqu’au lendemain même de la finale, tout en un
instant, s’effaça. Pas d’archive, à peine un souvenir, c’est
mieux. Ici comme ailleurs, l’affairiste, l’aventurier sait bien
que s’il n’ y a plus de trace, il n’y a plus de forfait.
D’ailleurs, cette immédiate table rase de l’hier, contient
toujours - même si, surtout si argument pratique et utopie
technologique obligent - une sourde menace de décérébration,
d’asservissement et d’inhumanité.
La chronique de ces messages internautes, toujours dans le fil
du feuilleton journalier des faits et gestes « des élèves »
co-détenus, toujours dans le fil des remarques des
« professeurs » co-visiteurs, nous révèlent une bonne image de
cette escalade des attaques contre la lauréate, alimentée à cet
incessant et aliénant miroir entre détracteurs voyeurs et
paroles d’experts surexposés.
D’abord, il y eut ce leitmotiv autour de sa surcharge
pondérale dont l’obsession cachait à l’évidence bien autre
chose. Cela commença d’ailleurs, de façon, certes tyrannique,
par l’imposition d’un régime plutôt sévère (10kgs, en à peine
trois mois) mais de façon finalement peu scandaleuse … même si
rétrospectivement, on a bien du mal à comprendre cette rude mise
à l’épreuve initiale de celle dont le triomphe était a priori
écarté. Durant le premier mois, ce fut donc pour Magalie, le
temps des rondeurs anodines. Sur le forum, que je regardais
alors, il est vrai, de manière assez dilettante : quelques
remarques aigres-douces des internautes, mais rien
d’excessivement blessant. « Les professeurs » manifestaient
encore à son égard, leur satisfaction devant son aisance
rythmique, sa capacité à jouer de son surpoids comme d’un
atout de séduction !
Et puis, tout commença à se gâter lors du premier suffrage sans
équivoque des téléspectateurs en faveur de sa sélection pour la
tournée du Printemps 2006. Si l’impensable pouvait devenir
réalité, il fallait changer de ton et vite. Finies les rondeurs
anodines, ces formes devaient être désignées comme choses
inconvenantes, comme état inacceptable, comme atteinte au bon
goût des professionnels, des promoteurs, de la jeunesse
consommatrice de CD ; et cela fut fait sans le moindre
ménagement. Ce ne fut bien sûr, plus seulement le poids –
argument plutôt faible - qui fut mis en avant, mais ce fut tout
son corps, toute sa présence physique qui furent passés au
crible et mis au passif d’une disgrâce sans rémission.
Il y eut ses cheveux : trop longs, trop courts, trop peu
soignés, ses brushing de mémère[7].
Il y eut sa bouche qu’elle tenait souvent de travers, en se
mordant les lèvres. Il y eut son rire : ah ciel ! Son
rire, trop fréquent, trop enfantin, trop niais - sans doute
était-il surtout, très défensif dans la situation où elle était
mise. Nous n’étions pas loin du délit de faciès. Il y eut aussi
sa démarche, puis sa tenue, sa façon de s’asseoir vautrée sur
le sofa, son dos relâché, ses jambes écartées. Il y eut
son absence de féminité, son inconcevable refus du maquillage ;
il y eut ses vêtements ringards ; il n’est pas jusqu’à sa
pudeur, jusqu’à son hygiène même (prenait-elle bien une
douche par jour?) qui ne furent attaqués et
tout cela, juste avant la mise en cause de son manque
d’instruction, juste avant la mise en cause de la pauvreté de sa
culture et de son esprit, toujours soulignée sur le forum
officiel Star Ac de TF1, doté d’un soi-disant modérateur, ce
que la censure de mes propres messages me permit d’ailleurs de
constater !
Ceci mérite un petit intermède en forme de comptine du
répertoire traditionnel, en forme de chanson dite d’enfance,
interprétée en 1936 par Yvonne Marsay, par Patachou en 1950, par
Mathé Altéry en 1959, René-Louis Lafforgue en 1962, Claude
Lombard en 1991, et par d’autres encore …
Alouette, je te plumerai (refrain)
Je te plumerai les pattes (bis)
Et les pattes (bis)
Et le dos (bis)
Et les ailes (bis)
Et le cou (bis)
Et les yeux (bis)
Et le bec (bis)
Et la tête (bis)
Alouette (bis)
Ah !
Je ne prendrai que quelques exemples de cet acharnement, c’est à
dire une gamme de mails choisis parmi les moins hargneux :
- Posté le 11/12/ 2005
Pourquoi ne pas essayer de lui apprendre quelques règles de
bonne tenue ? Comme ne pas se faire les pieds pendant un
débriefe, ne pas dire « je l’ai déjà » quand on vous fait un
cadeau, ne pas être affalée à longueur de journée. Les bases
quoi !
- Posté le 12/12/2005
C’est un gros bébé sans consistance qui n’a rien à apporter sauf
qu’elle représente le physique de plus en plus de personne
nourries Mac Do.
- Posté le 13/12/2005
Bonjour, j’ai vu que Magalie était en première SMS alors qu’elle
a 18 ans ce qui lui fait un an de retard, quelle en est la
raison ? J’ai également constaté qu’elle semblait « simplet ». J’aimerai avoir votre avis en n’espérant avoir blessé
personne ( !).
- Posté le 14/12/ 2005
Que voulez-vous, il y a un problème de niveau intellectuel. Le
chant, c’est bien, mais l’instruction est nécessaire. Quand on
voit Magalie dans l’impossibilité de bafouiller un mot d’Anglais
(celle-ci chanta tout de même en direct Cabaret avec
Liza Minnelli) on peut s’interroger… Au moins d’autres
candidats éliminés parlaient anglais couramment. Quand on parle
de médiocrité de la France, il ne faut pas chercher comment on
arrive à des finales de ce genre. Pauvre France, la décadence
est en route;
Cette fois, cette salve indigne de propos méprisants touchant à
sa personnalité tout entière firent leur apparition juste avant
la finale. On était passé - régression sans frein dans la haine
oblige - du rabaissement du corps au rabaissement de la
sensibilité et de l’âme. Je n’en reviens pas encore que vous
avez pu voter pour elle, elle n’a rien, à part une belle voix
( !), elle est nulle, aucune émotion, elle ne sait pas
bouger comme il faut, c’est moche. Pitoyable, on préfère
faire gagner quelqu’un parce qu’elle est commune[8].
On se gaussa sans aucune gêne de cette absence de classe
et d’éducation dont elle manifestait toutes les tares.
L’imminence du probable succès de Magalie avait déchaîné une
atmosphère de lynchage que l’anonymat bien confortable des
posts encourageait, envisager un duo avec Maria Carey,
non, c’est la belle et la bête, c’est du social à ce niveau[9]
et que les supporters de Magalie avait tout de même du mal à
endiguer. Le respect vous connaissez ??? Certaines personnes
sont insolentes, médisantes envers Magalie, foutez-lui la paix
et remettez-vous un peu en question. Vous devriez avoir honte,
mais il faut de l’esprit pour avoir honte. Magalie est une fille
bien dans tous les sens du terme et une artiste pleine de talent
contrairement à d’autres qui n’ont qu’un physique et encore… posté
par un fan le 12/12/2005.
Il est vrai que les coachs n’avaient pas ménagé leurs
efforts. Elle n’avait plus de rythme, elle n’avait pas
d’univers artistique[10] (sa
connaissance du répertoire de la variété française était
désormais devenue un marqueur culturel négatif, un simple signe
du fait qu’elle possédait une voix et une bonne mémoire !),
elle n’avait pas de charisme (professeurs et internautes
devraient se mettre au point sur la définition de charisme, cela
éviterait bien des paroles inutiles). Elle ressemblait à
toutes les nanas des boîtes de nuit, bougeant sans ressentir la
musique, elle s’éclatait sur la musique comme n’importe quelle
Madame Michu, elle n’avait rien d’une meneuse ; sur scène, elle
ne prenait pas le pouvoir, et qui plus est, elle marchait comme
un camionneur lui avait déclaré en face et en vrac la
maîtresse d’expression scénique, à la suite de sa victoire en
demi-finale.
Tandis que le prof de sport, au comble de la remise aux normes
bon enfant, lui réapprenait, tout simplement, en séances
particulières, lui réapprenait … à marcher, à assouplir ses
chevilles et à modifier son pas. Si l’art est un long
cheminement qui nécessite un dialogue permanent, exigeant de soi
à soi, il est certain qu’il ne pourra jamais éclore dans un camp
de rééducation. Mais cette nervosité de l’encadrement trouva
bien évidemment son écho moralisateur amplifié sur le forum :
- Posté le 10/12 /2005
Les images de ce matin sont très parlantes, l’ambiance est
morte, sans âme, molle, c’est le reflet des finalistes, que l’on
retrouvera cet été en pleine tournée des camping et que vous
pourrez sans doute voir gratuitement l’an prochain, pour
l’anniversaire d’une grande surface près de chez vous.
- Posté le 12/12 /2005
Pour moi une artiste doit avoir de la voix ou du moins une voix
mais aussi un certain charisme. Pour la voix, elle nous a montré
qu’elle pouvait rivaliser avec les meilleurs. Quant au charisme,
je ne suis plus du tout d’accord… Je passe sur ses tenues
vestimentaires ; du caleçon qui moule copieusement ses formes à
ses décolletés quand ce n’est pas ses allées et venues en
maillot de bain. Alors moi qui suis de la France d’en bas, je ne
peux voter Magalie
Les profs vedettes avaient donné le feu vert, les plus cyniques
ou les plus maladroits d’entre eux avaient exprimé leur
courroux contre un public inculte, l’hallali ne se fit pas
attendre. Magalie devint alors pour quelque temps, l’emblème
vilipendé de la basse classe, de la France ridicule,
de la France médiocre, de la France profonde, de tous ceux
qui lui ressemblent et qui n’ont rien pour eux.[11]
Un internaute dans un message du 11 décembre, posa alors la
question en ses termes : L’an dernier personne ne s’est
offusqué de la victoire de Grégory. Qu’avait-il de plus ? Rien !
Alors pourquoi cette année, ces réactions, Magalie n’est-elle
pas politiquement correcte ? Les échanges changeaient de
terrain : c’étaient les français du non au référendum
concernant la constitution européenne qui avaient soutenu
Magalie. Après chaque suffrage en sa faveur, l’argument fut
systématiquement repris. De curieux dialogues occupèrent alors
l’espace du forum :
- Je suis un mélomane, j’aime la musique classique, les variétés
également, j’ai voté pour Magalie, je fais partie de la France
profonde et j’en suis heureux.
- En plus de ne pas avoir de tenue, elle ne sait pas s’exprimer
et c’est ça le choix des français du bas fond.
- Bas- fond, il y a donc des sous-humains ? La France d’en bas en
quelque sorte ???!!! Tiens cela me rappelle quelque chose ! Je
me sens de la classe moyenne et je dis : Bravo Magalie, la
grande classe !
- Il faudrait arrêter de mettre tout le monde dans le même
panier, moi je suis de la bonne société et je vote Magalie.
Au-delà de la critique des règles du jeu laissant le choix
conclusif au public, c’est – aboutissement logique, idéologique
d’une courbe d’effacement du populaire - la contestation du vote
souverain, du vote démocratique qui se dévoilait sans fard à
l’occasion anecdotique d’un bénin divertissement de masse.
L’émission en son principe en « appelait » avec coups de fil
surtaxés, au peuple des acheteurs de CD et consommateurs de
concerts, elle aiguisait soudain l’effervescence d’un peuple
politique. Comme le fit remarquer a posteriori la directrice
Alexia la Roche Joubert, Magalie a déclenché un phénomène
d’identification[12], dépassant le
simple cadre musical !
Quand je parlais précédemment de barbarie sournoise,
j’ajouterai même que ce fait divers de la Star Ac 2005, montre
combien le peuple ici et maintenant est devenu cet étrange
étranger, cet ennemi intérieur du pays. Il est à la fois honte
de l’autre et honte de soi. Il se manifeste là - via une scène
politique, médiatique, experte et toujours bien-pensante - une
sorte de xénophobie renversée qui n’est pas moins grave que
celle s’exerçant à l’égard de ceux venus d’ailleurs. Tandis que
Magalie chantait, Argenteuil et bien d’autres banlieues urbaines
s’enflammaient…
Après les insultes au corps, au faciès, à la vacuité de
l’émotion et de l’intellect, ce furent toutes les pratiques
« historiques » de la culture populaire : les bals musette, ceux
du samedi soir, les campings, les réunions familiales du
mariage, celles des baptêmes, les fêtes foraines, les foires qui
furent, sur le ton du crachat préalable, associés à ses
ambitions et à son goût de chanter. Et pour ne rien oublier dans
l’escalade à la bêtise et au rejet, on prit soin de la dénommer,
elle et ses proches, sous les pseudonymes de personnages,
devenus lieux communs risibles de la caricature des pauvres
types, ces autres que soi, bien sûr… Les posts, toujours les
posts (ô mélange pervers de la fine technologie et de
l’archaïque instinct de destruction) invoquèrent Les Michus
présidents, parlèrent de la finale des Bidochon,
et dans la famille Groseille, demandèrent la
fille, tous très satisfaits de leur humour !
Pendant ce temps les supporters de Magalie commencèrent à
l’évoquer comme leur fauvette des faubourgs ;
certains reparlèrent de Piaf, réclamaient qu’elle puisse enfin
interpréter seule, une chanson classique de ce répertoire.
Magalie n’en eut jamais le loisir. Mais elle devenait au fil des
semaines et des épreuves, l’héroïne de valeurs fortes : Merci
à elle pour son talent, les émotions qu’elle fait passer dans sa
voix, sa modestie, son courage, son abnégation, pour sa chaleur
humaine, pour ses yeux qui brillent, pour son rire qui donne
envie d’être son amie, pour tout ce qu’elle est dans ce monde de
brute[13]. Les défauts
devenaient ressources. Dans l’affrontement social et culturel,
une histoire d’amour - une brève, une longue ? - naissait…
Match Point
Aux lendemains de la finale, un nouveau climat s’amorça à grand
peine. Il fallait dans l’urgence trouver des explications à ce
regrettable triomphe ; il fallait proposer rapidement un sens
inoffensif à cette obstination populaire face à des décisions
managériales jugées injustes et brutales. En jouant à l’apprenti
sorcier, en jouant sur toutes les confusions entre l’intime et
le public, sur les brouillages entre la fiction et le vrai, en
comptant sur une sollicitation permanente des motifs
passionnels, le principe de la télé-réalité n’avait-il trouvé
ses limites ?
Magalie en réintroduisant à la fois une dramaturgie et un
réalisme, n’avait-elle pas pris de court de tels dispositifs,
certes puissants, mais non destinés à affronter ces explosions
du réel ? Après tant de patentes dissensions, il fallait
précipitamment restaurer de la valeur à la lauréate, fonder la
justesse de son triomphe et tout bonnement susciter un désir de
vénération de l’élue. Il fallait retrouver la paix calculée
d’une consommation bien orientée, l’objectif de la vente de
l’album était désormais l’un des seuls à considérer. L’opération
était délicate…
Cela démarra très mal, dans le fil idéologique des critiques
antérieures à la victoire, sur le thème de l’identification
victimaire. On passa de la médisance au regard apitoyé, la
différence d’ailleurs n’était pas vraiment sensible. La
journaliste Geneviève Petit[14],
ayant écrit sur Star Academy, donna la note. Elle précisa bien
que selon elle, Magalie ne devait pas rester jusqu’au bout
pour Endemol[15], en témoignait
son faible taux d’exposition à l’antenne, les plans répétés
sur ses temps d’inactivité, l’imposition de
chorégraphies ne ménageant pas son souffle, le décalage
d’épreuves et de difficultés techniques en sa défaveur
par rapport aux autres candidates, lors de la demi-finale.
Sa conclusion était très nette : Elle a bénéficié du vote
identitaire des gens de forte corpulence, mais aussi de tous eux
qui se sentent maltraités.
Oui, c’est çà, les mal-aimés, ceux qui ne s’assument pas, les
loosers toutes catégories : on tenait là une bonne raison
explicative, un peu fatiguée certes, mais d’usage simple en
toutes circonstances mondaines. La présidente d’une association
d’obèses que l’on fit immédiatement entrer en piste, alla même
plus loin : toutes les adolescentes qui se sentent pas bien
dans leur peau ont voté pour elle, qu’elles aient un problème de
poids ou un simple bouton sur le nez… Quand une émission
sélectionne un beur, un noir ou une petite grosse, c’est d’abord
un moyen de se donner bonne conscience. Je ne suis ni pour, ni
contre ces quotas, j’attends seulement de voir quelle suite sera
donnée. Je suis convaincue qu’Endemol est dans la panade, car
les retombées en matière de produits dérivés risquent de ne pas
être très importantes avec Magalie. Que vont-ils arriver à
vendre, à part des crèmes amaigrissantes ?
Toutefois, la version s’officialisant de ce vote des ratés,
des paumés, presque tous sortis de la cour des miracles, ne
redorait pas le blason de Magalie. Les managers reprirent alors
la main. Le Parisien affirma que la jeune fille n’avait
rien d’une erreur de casting. Pascal Nègre dans ce même journal,
expliqua, le Mardi 20 Décembre 2005, que c’est la meilleure
qui l’avait emporté, qu’elle avait touché le public,
qu’elle avait ce petit quelque chose en plus
qu’il avait déjà remarqué dès les premières auditions,
qu’il dirigeait une maison de disques, pas l’agence Elite,
qu’il ne fallait pas tout mélanger, que tout s’annonçait bien
avec Rick Allison (producteur de Lara Fabian) qui s’était
engagé à faire une grande partie de son album.
Dans La vie des médias, sur canal+, le 27 Décembre 2005,
un journaliste se plaçant sur un autre plan, chercha peut-être à
rectifier la maladresse de certains propos, à camoufler la
mascarade des volte-face les plus éhontés, tandis qu’il ramenait
également les enjeux du conflit révélé, sous un mode mineur, à
une caractéristique nationale déjà bien éprouvée : Magalie,
c’est une fille de la rue, tous les grands succès des chanteurs
populaires en France, commencent avec des gens de la rue. C’est
normal, ils l’ont élue, elle leur ressemble, c’est une fille de
la rue. Regardez Piaf et bien d’autres. On va lui donner de bons
titres, comme à Mireille Mathieu, comme à Chimène Badi, elles
réussissent avec des Pygmalion autoritaires. C’est ce qu va lui
arriver. O, va lui dire Magalie, chante et tais-toi.
Et la trêve des fêtes de fin d’année, à bon escient, vint.
Le forum TF1 fut, le temps que le soleil ne reprenne sa course,
à nouveau ouvert aux fans enthousiastes, aux détracteurs moins
virulents. Il faut peut-être arrêter les critiques et
regarder vers l’avenir. Pourquoi ne pas souhaiter une bonne
chose à la gagnante ? Heureusement dans plusieurs revues, on
positive et on reconnaît les mérites de Magalie. J’ai aussi
admiré ses superbes photos qui, pour une fois, mettent Magalie
en valeur (Posté le 23/12/05). La tentative de réparation de
la mésaventure médiatique était en marche. Magalie avait eu
droit à ses images magnifiées de star. Les échos des
mécontentements de la foule s’affaiblissaient. Les familles
préparaient Noël.
Vœux et controverses
Si j’ai souhaité décrire la chronique de ce divertissement
télévisuel, c’est qu’il se présente bien comme effet loupe de
symptômes sociétaux critiques : coupure majeure entre une
oligarchie managériale en tous azimuts et le peuple et la
multitude, détachement grandissant entre la culture signifiante
et les chansons qui en sont pourtant un des humus les plus
riches, enfermement d’une jeunesse dans des rêves bien
précocement formatés. De plus, la liste n’est pas close…
Reste, dans l’esprit de cette observation participante, parvenue
à l’épilogue de ce sommaire itinéraire d’intervention
sociologique, reste à souhaiter à Magalie, à peine éclose,
qu’elle ait dans quelques années, la force de sortir du cadre et
qui sait, de renouer avec ce goût des chansons ordinaires et
extraordinaires tout à la fois, qui parlent à tous, qui donnent
à imaginer ce qu’elles laissent entendre, ce que réalisèrent les
plus grandes et les plus populaires des interprètes. |
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Enigme de la
popularité au delà des calculs. Magalie, qui comme 41% des
français - selon un récent sondage SOFRES - déclare aimer la
chanson française, est là au bord de l’énigme. La chanson n’a
jamais relevé dans notre histoire de la seule sphère du privé et
des goûts individuels : elle participe aussi à l’histoire
collective. C’est à travers elle que s’exprime « la voix
publique ». Elle renvoie à la face cachée des mouvements
collectifs, ou bien à ce qui, dans les évolutions sociales,
révèle de l’air du temps[16].
Si écouter la chanson, livre quelque intuition de ces
ravissements, mais aussi de ces failles, de ces épuisements, de
ces défaites de l’être-ensemble dans les tournants des sociétés,
la Star Ac qui ne parle certes qu’indirectement de chanson,
réduite en ce cas, à un simple prétexte compétitif, toutefois ne
nous fit-elle pas, à travers l’épisode Magalie, paradoxalement
entrevoir quelque chose de ce genre ?
Nantes, le 31 décembre-1°Janvier 2006
Joëlle DENIOT
Professeur de sociologie à l'Université de Nantes
Membre nommé du CNU 19°
Section,
Présidente du Lestamp-Association
Droits de reproduction et de diffusion réservés ©
LESTAMP 2005
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La
Star Ac face à la
colère populaire
Magalie
est élue lauréate de
l’année. Ceci n’est pas
un conte de Noël, et
ceci déjoua même, bien
des calculs… Parmi tous
les spectacles de la
télé-réalité, celui de
la Star Academy
est celui qui capte le
plus grand nombre
d’adeptes. Avec 8
millions 800 mille
téléspectateurs
déclarés, ce programme
est en train de
s’imposer comme la plus
envahissante émission de
variétés du paysage
audio-visuel français.

Quand on aime la chanson
et dans la vie et pour
la recherche, toutes les
raisons de principe et
de cœur vous portent à
faire l’impasse d’un tel
programme, vous portent
à violemment critiquer
ce formatage si précoce
et si grossier des rêves
adolescents. Mais cette
saison, difficile de
faire la sourde oreille
à la colère populaire
qui porta Magalie, à la
victoire. Il est bien
sûr curieux de voir un
concours d’apprentis
chanteurs, sous emprise
manipulatrice d’enjeux
managériaux les
dépassant, devenir
symptôme d’enjeux
profonds traversant la
société française.

Tel fut pourtant le cas.
Contre l’injustice
flagrante à l’encontre
de la candidate non
standard, il y eut cette
puissante réaction du
grand nombre ; contre
une machinerie bien
orchestrée, il y eut
cette tentative acharnée
de réappropriation
collective. Très jeunes
et moins jeunes
téléspectateurs, contre
un monde d’experts, de
programmateurs et de
normalisateurs, avaient
scandaleusement
commencé à faire peuple…
APPEL à
COMMUNIQUER
Et
Dieu...
SOCIOLOGIE
D'UNE
TRANSCENDANCE
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mardi
15,
mercredi
16
jeudi
17
septembre
2015
Redaté
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